F. Narboni - Le fil d'or
Il s’agit – c’est là l’essentiel – traçant le trait instantané, de capter le souffle, le rythme, faute de quoi la vie ne passe pas.
« Le souffle devient geste » en référence à François Cheng. Pour Karlfried Graf Dürckheim, le chemin initiatique est un chemin de maturation où l’expérience est centrale. « Pour cela, il faut que, dans une expérience particulière, il soit amené à prendre conscience de son être essentiel et de sa destinée ». Expérience du corps, du geste, du souffle, expérience intérieure, qui passe par l’exercice méditatif. Qu’il soit à médiation corporelle ou artistique, qu’il s’appuie sur la tradition (japonaise, indienne ou chinoise …) ou laisse place à l’improvisation, le sens profond de l’exercice est de libérer le geste, d’en faire un geste vivant, incarné, engageant la personne entière, le « corps que l’on est ». L’exercice quel qu’il soit a pour but le geste pur. Qu’est-ce que le geste pur ? C’est le geste purifié de l’ambition, de l’angoisse, du vouloir faire qui s’origine dans le moi […].
Apprentissage donc de la vigilance, de la présence, qui s’exerce aussi dans les activités de la vie quotidienne. Le champ de l’expérience s’étend au « quotidien comme exercice », dans la conscience de ce que l’on fait, là où chaque mouvement devient geste et où se vit l’expression d’une qualité qui maintient le « fil d’or » avec sa profondeur.
Il s’agit toujours, quel que soit l’exercice, de trouver son rythme, ralentir, s’arrêter, se mettre à l’écoute de son intériorité, du tempo du souffle, vivre la lenteur comme expérience de la profondeur. Pour prendre conscience du chemin : « ne jamais aller plus loin qu’il n’est possible. Peu importe que ce soit très lent. Ce qui est important c’est de maintenir un rythme [1] ».
Mouvement du corps, mouvement de la vie épousant le mouvement du souffle, s’y accordant, jusqu’à ce que ce soit le « rythme qui nous respire ».
Pour Dürckheim, la respiration est la clé de l’exercice initiatique parce qu’elle « représente la formule vivante de tout ce qui vit. La tension que représente le yang est juste dans la mesure où elle est remplie d’une détente. Dans l’action juste, le muscle est nécessairement tendu, mais le tissu, c’est-à-dire l’homme, doit être détendu[2].
De même que la respiration « s’effectue, grandit, s’épanouit dans l’éternel cycle du devenir et du disparaitre de la forme [3] », l’exercice demande à ne rien figer, ni scléroser mais à « accrocher le vivant en soi », l’impermanence, nous invitant ainsi à cultiver une qualité de présence à ce que qui est donné, et qui change instant après instant.
Peut naitre alors cette sensation particulière que la fin d’un mouvement contient en germe le début du suivant, dans le même processus de vie qui anime l’alternance des saisons, du jour et de la nuit, de l’inspir et de l’expir, posant l’immobilité au cœur du mouvement, le mouvement au cœur de l’immobilité.
Au rythme de sa respiration, du vide et du plein, de ses temps de suspension, se vit l’engagement et la détente, la rigueur et la fluidité ; un motif prend forme, une phrase s’écrit en « fil d’or » dans la gestuelle du corps.
Félicia Narboni
Revue Française de Yoga - Juillet 2016