A. M. Doë de Maindreville - Marcher, méditer
L’acte de marcher est une recherche constante d’équilibre dans le corps. Nous l’oublions dans l’automatisme de notre façon habituelle de marcher.Pris dans la vitesse de notre mouvement, nous n’avons plus conscience du constant réajustement qu’opèrent notre cerveau et notre corps.Nous sommes emportés par une force qui fait que souvent nous marchons « devant nos chaussures » tirées en avant par notre tronc.
Dans l’enseignement de K. Graf Dürckheim, l’importance est placée sur le quotidien comme exercice et l’exercice au quotidien. Toute pratique doit être, pour prendre sens, régulière et selon les exercices, progressive.
Ainsi en est-il dans la pratique du yoga de l’approche de certaines postures. Permettre au corps de se laisser apprivoiser, pour acquérir la souplesse et la fermeté nécessaires à l’esprit de la posture – sthira sukhá, comme disent les Yoga Sûtra.
Vivre la marche comme un exercice, une posture, demande que l’on sorte de l’automatisme pour se rendre présent à chaque pas.
La marche devient alors l’exercice de contact avec le monde extérieur, la marche devient alors l’exercice de retour dans notre centre, la marche devient alors … méditation.
Tout voyage commence avec un premier pas, y compris ce voyage de retour dans notre centre, notre demeure intérieure.
Marcher, c’est avancer dans le monde, c’est avancer au milieu des autres, avec les autres. Méditer en marchant n’est pas un acte de repli sur soi… Le regard reste paisible pendant la marche : ne rien chercher, laisser venir, ne pas se laisser tirer hors de soi par les images que capte notre regard, mais sentir les globes oculaires paisibles dans les orbites.
Le pied est l’organe de contact avec le sol ; il est très adaptatif grâce à ses grandes capacités de déformation. Eveiller de la sensation tactile sous les pieds, regarder avec les pieds, apprendre à sentir le déroulé du pied sur une surface plane puis irrégulière, épouser le sol (« Marchez comme si vous embrassiez la terre de vos pieds » dit Thich Nhat Hanh, moine zen vietnamien) et toujours … se confier.
Si on habite les gestes de la marche, on pratique un exercice précieux.
Thich Nhat Hanh dit encore : « La terre est marquée de notre anxiété et de notre douleur. Il nous faut marcher de façon à seulement la marquer de paix et de sérénité. Nous en sommes tous capables, il suffit de le souhaiter ardemment. »
Dans la pratique du geste méditatif, tout commence par un expire – lâcher prise – par rapport à tout ce qui nous retient d’être.
C’est un don.
« Je donne, je me donne, je m’abandonne, pour me recevoir » enseignait K. G. Dürckheim.
Quand l’exercice du pas de paix est bien intégré, il peut être vécu dans une marche « normale » avec la même intensité, car souvenons-nous que tout est affaire de présence …
Anne-Marie Doë de Maindreville
Revue Française de Yoga – Juillet 2005